Saurons-nous utiliser les opportunités de réinvention complète de nos business models que nous offre la technologie ?

En stratège à la tête de ses troupes, sur l’un des métiers les plus traditionnels qui soient – l’assurance –, Henri de Castries vit une révolution qui l’oblige à transformer son business model. Autrement dit, à quitter l’ancien monde, où il est un acteur de premier plan, pour un nouveau dont la visibilité n’est pas la qualité première. Et pourtant, le mouvement est à faire rapidement. Sa priorité. Avec éloquence et conviction, il plaide pour l’urgence de cette profonde transformation, en posant les bonnes questions qui peuvent déranger en interne, comme celle des nouvelles compétences indispensables… Et des anciennes devenues inutiles. Les nouveaux outils, en particulier le big data, sont des alliés pour cette guerre de mouvement, à condition de se les approprier avec célérité. Une certitude qu’Henri de Castries veut à tout prix faire partager.

La grande priorité stratégique d'Axa aujourd’hui pour l’évolution du groupe dans les 10 ou 20 ans à venir n’est ni le développement de ses implantations géographiques, ni l’évolution de la réglementation financière. Le sujet qui s’impose comme N°1 à tous les salariés tient en une question : saurons-nous vraiment utiliser de façon intelligente les opportunités de réinvention complète de nos business models que nous offre la technologie ?

Cette interrogation s’impose désormais comme une évidence pour l’ensemble des activités de services, mais aussi pour l’ensemble des activités manufacturières, si on prend en compte le potentiel de l’impression 3D.

Une révolution complète

Dans nos sociétés développées, nous vivons actuellement une période absolument comparable à ce que fut l’introduction de l’électricité puis du téléphone dans les processus de production et de service à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle.

Une révolution complète dont on ne mesure que progressivement les conséquences mais qui pourtant, à un moment, impose une période d’accélération absolument irrésistible. Je suis convaincu que nous sommes au début d’une de ces périodes.

Face à ces bouleversements dont témoigne une pluie de néologismes, depuis la “kodakisation” jusqu’à “l’ubérisation” de l’économie, il convient d’avoir toujours à l’esprit cette phrase apparemment anodine d’un des dirigeants de Google : “Aujourd’hui, si vous ne savez pas le problème que vous réglez pour le consommateur, votre business model est mort” . Autrement dit, il faut à la fois savoir se concentrer sur le problème ou le besoin fondamental que l’on règle pour nos clients, et être prêt à changer très profondément la manière dont on le fait, grâce aux moyens apportés par la technologie.

Ainsi, dans notre métier, les conséquences de cette révolution sont déjà extrêmement perceptibles. Plus nous y réfléchissons, plus nous sommes convaincus que le secteur est confronté à quelque chose d’aussi révolutionnaire que l’invention de la poudre pour les gens qui se servaient d’arc et de flèches, ou celle de l’électricité pour les utilisateurs des machines à vapeur.

“Aujourd’hui, si vous ne savez pas le problème que vous réglez pour le consommateur, votre business model est mort”

Or aujourd’hui, avec le recul de l’Histoire, on peut constater à quel point la révolution industrielle du XIXe siècle est une période qui a permis d’accélérer la croissance et de faire naître un certain nombre de secteurs et d’acteurs nouveaux. Ainsi, toutes les entreprises dominantes de l’industrie textile britannique étaient alors équipées de machines classiques et n’utilisaient pas les nouvelles formes d’énergie ; elles ont donc tout simplement disparues au profit de celles qui ont su intégrer l’électricité grâce à l’invention de nouvelles machines et l’organisation de nouvelles usines pour produire le même produit final. Réglant ainsi le même problème pour le consommateur – la fourniture de tissus - mais de manière autrement plus efficace.

Or, nous sommes actuellement confrontés à la même problématique. Les technologies nouvelles impactent de manière absolument décisive le métier de l’assurance sur deux fronts, avec d’une part tout ce qui concerne le big data, et d’autre part tout ce qui est lié à l’utilisation du digital et du mobile dans la relation avec le client.

Le big data dans les métiers de l’assurance

Le big data, tout d’abord, va impacter de façon décisive la conception et la commercialisation des produits d’assurance. Traditionnellement, le métier de l’assureur a toujours été d’identifier les risques, de les comprendre puis de mettre un prix en face, essentiellement en accumulant des données et des historiques. Les assureurs sont d’ailleurs parmi les entreprises ayant le plus de données sur leurs clients, individus ou entreprises. Jusqu’à présent, nous étions ainsi dans un monde – un peu à l’image de ces moines copistes du Moyen-Âge confrontés à la création des parchemins – dans lequel on accumulait les données qu’on allait systématiquement chercher en posant des questions à nos clients.

“Les assureurs sont d’ailleurs parmi les entreprises ayant le plus de données sur leurs clients, individus ou entreprises”

Cela fait maintenant plus d’un quart de siècle que je suis chez Axa. Longtemps, j’ai vécu avec cette idée qu’une souscription bien faite pour assurer une automobile est celle pour laquelle il est indispensable de poser plus d’une vingtaine de questions à nos clients. Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’accumuler un nombre très considérable de données sans avoir besoin de poser de questions. Mieux, cela se double d’une capacité absolument gigantesque à comprendre et traiter cette multitude de données. Un véritable saut quantique. Cela pose bien sûr de grandes questions en matière d’éthique, mais cela permet d’envisager une expérience utilisateur infiniment plus fluide, et de concevoir des services innovants et extrêmement utiles pour les assurés, notamment en matière de prévention des risques.

Le saut générationnel

Cette révolution est pour nos métiers de l’assurance aussi considérable que celle qui a conduit à passer du modèle déterministe de prévisions des risques à des modèles stochastiques. L’écart entre les deux modèles, en termes d’efficacité et de capacité de prévision, est à peu près le même. Un saut générationnel incroyable. Car plus on possède de données, plus on est capable de cerner précisément les profils de risque. C’est un peu comme si l’on passait d’une représentation du monde donnée par les dessins des grottes de Lascaux, à une représentation en 3 dimensions et en temps réel grâce aux technologies les plus sophistiquées.

Cette métaphore n’est pas si caricaturale qu’elle en a l’air. Par exemple, on dispose désormais pour un certain nombre d’équipements et de machines extrêmement complexes, de la capacité de suivre leur comportement à la microseconde près où qu’ils soient dans le monde, et de n’importe quelle manière. Ce qui est évidemment décisif sur la compréhension du risque dans des domaines de plus en plus sophistiqués. Ainsi, l’un de nos experts m’a expliqué dans le détail comment la microélectronique permet non seulement de délivrer des signaux révélateurs, mais surtout donne des moyens d’intervenir contre le vieillissement des bâtiments en temps réel. Disposer ainsi de bases de données permettant d’évaluer la déformation du béton en temps réel signifie que l’on devient capable, dès que le début de la manifestation d’un dysfonctionnement, de prendre les mesures de prévention qui vont diminuer les risques.

“Cette révolution est pour nos métiers de l’assurance aussi considérable que celle qui a conduit à passer du modèle déterministe de prévisions des risques à des modèles stochastiques”

Ces innovations qui s’appliquent au béton des immeubles concernent bien évidemment nombre d’autres domaines, comme la santé, pour évoquer un des secteurs où l’utilisation du big data est aujourd’hui le plus controversé. Avec la santé connectée, nous en sommes encore aux balbutiements, mais dans quelques années, ces dispositifs seront beaucoup plus sophistiqués. La collecte et l’analyse des données, sous réserve absolue d’une réglementation protectrice et d’acteurs responsables en matière de gestion des données privées, vont transformer la prévention santé, dans l’intérêt individuel et collectif de nos sociétés. Dans ce domaine également, nous sommes vraiment en train de rentrer dans un autre âge.

Les entrants et les sortants

Quel sera l’impact dans nos métiers de l’assurance ? Ceux qui sauront se servir de ces technologies vont avoir une capacité à mieux identifier les risques, à les comprendre, à délivrer le bon service au meilleur prix pour le consommateur. Des différences notables vont s’imposer entre les acteurs. Certains disparaîtront. Un peu comme entre ceux qui essaieraient d’améliorer une diligence et d’autres de créer une Ferrari.

Voilà pourquoi la capacité de compréhension de ces transformations s’impose à nous comme absolument décisive. Certes, nous sommes confrontés à un certain scepticisme quand on entend certaines déclarations : “Les assureurs traditionnels ne sauront pas faire ; et même s’ils parviennent à faire, finalement, ce sera la disparition de l’assurance parce que c’est la fin de la mutualisation”.

“Certains disparaîtront. Un peu comme entre ceux qui essaieraient d’améliorer une diligence et d’autres de créer une Ferrari”

À nous de démontrer que ces deux propositions sont fausses. Donc l’objectif aujourd’hui est limpide : s’approprier le plus vite possible ces nouveaux outils créés par d’autres secteurs. Car plus on les adopte rapidement, plus on a de chances de rester compétitif, voire de faire la différence avec les concurrents qui ne franchiraient pas cette marche. À cet égard, il est particulièrement intéressant d’observer l’évolution d’un certain nombre de secteurs autour de notre activité. Si les agences de voyages traditionnelles ont quasiment disparues car elles étaient en toute première ligne, cela sera sans nul doute très différent pour l’industrie automobile comme pour l’assurance.

Il y a deux ou trois ans, tout le monde évoquait cette voiture sans pilote annoncée par Google à des milliers de conducteurs automobiles. Si l’aventure de la Google Car est absolument fascinante, il est aussi intéressant de souligner la réaction des grands constructeurs automobiles qui, comprenant la menace et les attentes des consommateurs, sont en train de développer eux-mêmes, grâce à une appropriation accélérée de ces technologies, la riposte adéquate à la menace d’un acteur surgissant d’un autre secteur.

Je crois que cela va être exactement la même chose dans l’assurance. Et pour le faire le plus vite possible, les stratégies sont extrêmement simples : des stratégies d’alliances d’intérêts, très pragmatiques. Il faut évidemment s’allier avec tous ceux qui maîtrisent ces technologies pour les comprendre et les acquérir le plus vite possible. Voilà pourquoi nous sommes parmi les premiers à passer des accords avec les grands noms de cette révolution numérique et les start-up les plus pointues du secteur.

“Nous sommes parmi les premiers à passer des accords avec les grands noms de cette révolution numérique et les start-up les plus pointues du secteur”

C’est dans notre intérêt et celui de nos clients, même si celui avec qui on signe aujourd’hui peut demain devenir un concurrent. Cette capacité à intégrer leur savoir-faire est absolument essentielle pour nous. Et pour eux ? Ils sont intelligents, réfléchissent aussi, et y trouvent une accélération de leur connaissance sur notre secteur. Si certains émergeront peut-être comme des acteurs à part entière de notre secteur, nous sommes convaincus que les acteurs traditionnels y ont toute leur place. Je note d’ailleurs que s’il est difficile de trouver une agence de voyages ou une librairie dans la Silicon Valley, on y trouve encore des agents d’assurances très prospères !

La mutualisation n’est pas morte

Cette révolution numérique ne tuera pas la mutualisation, au cœur du métier de l’assurance. Elle va simplement permettre de beaucoup mieux cerner la part de l’inconnu et de l’aléa dans les risques que nous assurons. En réalité, dans la prestation que nous vendons aujourd’hui à nos clients, quand les données recueillies sont imparfaites ou insuffisantes, nous faisons payer cette part d’inconnu. Or, elle va devenir réductible grâce à l’accumulation de données supplémentaires. Ainsi, une fois réduite, nous pourrons proposer un meilleur produit à un meilleur prix.

Toutefois, il restera toujours un risque, un aléa – et nous travaillons également à de nouvelles formes de mutualisation, par exemple à l’échelle de communautés. Donc l’assurance et la mutualisation ne disparaîtront pas. Voilà pourquoi le big data est si important, pourquoi nous devons manœuvrer à vitesse accélérée, et pourquoi les progrès induits par ces technologies nouvelles m’importent bien davantage qu’un éventuel territoire géographique supplémentaire. Bien sûr, il faut en conquérir, mais ce n’est pas vraiment notre combat principal. Le combat principal, c’est la transformation des business models.

“Dans la prestation que nous vendons aujourd’hui à nos clients, quand les données recueillies sont imparfaites ou insuffisantes, nous faisons payer cette part d’inconnu”

Pour y parvenir, nous bénéficions actuellement de nouveaux outils absolument formidables pour nous aider à mieux communiquer avec le client. Une métaphore puisée en interne illustre l’ampleur de cette transformation. Nous la devons au patron de notre distribution aux États-Unis qui montre aux commerciaux et conseillers travaillant avec nous deux photos. Celle d’un ancien officier de Marine prise en 1915 et celle d’un Marines américain en 2015 : tous deux portent 40 kg d’équipement mais ces matériels n’ont vraiment rien à voir, la capacité de l’équipement a considérablement changé. Mieux : sa sophistication n’a absolument pas supprimé le rôle de l’individu, du soldat, au contraire ! Dans notre métier, la comparaison a la même pertinence.

Nous avons désormais une capacité de communiquer et d’interagir avec nos clients de nature complètement différente. Si le conseil personnalisé va prendre de plus en plus d’importance, les interactions à faible valeur ajoutée vont pouvoir très rapidement être traitées par la technologie, tout en améliorant très sensiblement la qualité de notre relation avec nos clients. Plus on résistera à cette transformation, moins on aura de chance de survivre. Il faut mettre son énergie, non pas dans le refus de changer, mais dans l’accélération du changement. Car par exemple, le smartphone va encore voir ses capacités s’accroître et nous forcer à interagir avec le client de façon totalement différente. Une évidence absolue quand je discute avec les jeunes diplômés qui rejoignent Axa. Bien évidemment, cela va provoquer des épisodes douloureux, car cela va faire apparaître la complexité du système actuel, en particulier son opacité, qui obère parfois sa capacité à avoir des prix vraiment compétitifs.

La véritable valeur ajoutée

Mieux vaut le comprendre avant les autres pour changer. Un des grands thèmes de nos discussions en interne cerne d’ailleurs ce type d’enjeux : est-il est normal de concevoir des produits – satisfaction ultime d’ingénieur – absolument formidables et ultra-sophistiqués, mais présentant malgré tout quelques défauts, à savoir qu’ils ne concernent que peu de clients et l’on est incapable de faire payer leur prix réel ? Est-il encore pertinent de concevoir des produits d’épargne en y multipliant des options supplémentaires très rarement utilisées ? Je me souviens ainsi d’une mémorable discussion sur la simplification de nos produits aux États-Unis : quand on cumulait toutes les options disponibles, le client avait plus d’un million de choix possibles.

Le coût de fabrication d’un tel produit est totalement déraisonnable par rapport au besoin réel. Désormais, le digital nous force à nous concentrer sur la véritable valeur ajoutée apportée par nos produits, et nous oblige à la communiquer de manière simple au client en lui faisant payer un prix transparent et clair. Ceux qui imaginent que l’on pourrait résister à cela ont tort.

“Désormais, le digital nous force à nous concentrer sur la véritable valeur ajoutée apportée par nos produits, et nous oblige à la communiquer de manière simple au client”

Bien entendu, je ne suis pas naïf et sais très bien que c’est le vieux monde, l’ancien, qui nous nourrit aujourd’hui. Alors nous sommes un peu comme Christophe Colomb : nous faisons des provisions avant de partir des ports d’Espagne ou du Portugal avec l’idée qu’elles nous permettront de tenir jusqu’aux côtes du Nouveau Monde avec l’ensemble de l’équipage. Mais il faut toutefois être bien conscient que la destination ultime est le changement radical de modèle économique. Le plus rapidement possible. Sans oublier cependant un certain nombre d’obstacles intéressants, dont deux ou trois me semblent communs à l’ensemble des acteurs, quelles que soient leur taille et leur place dans la chaîne de valeur.

L’enjeu RH

Premier obstacle : cette résistance au changement et cette difficulté à faire vivre l’innovation dans des organisations qui fonctionnent. Pour une raison simple : il n’est pas évident de délivrer tous les matins un message de changement très profond lorsque l’on travaille dans une entreprise fonctionnant extrêmement bien grâce à ses “vieux” business models. La première réaction des équipes est d’interroger sur le réel intérêt de ces changements puisque tout cela fonctionne parfaitement, et qu’il vaudrait donc mieux améliorer les marges et surtout pas casser une organisation donnant de bons résultats. Pourtant, il faut le faire.

Le second obstacle, absolument fondamental, est lié aux ressources humaines et prend deux aspects : les qualifications d’une partie des équipes actuelles vont progressivement devenir obsolètes. Il faut donc être capable d’intégrer les compétences que nous n’avons pas. Ma principale préoccupation aujourd’hui concerne les 160 000 personnes du groupe : comment, d’ici 5 à 10 ans, leurs qualifications actuelles devront-elles se transformer ? La mise à jour presque permanente de l’ensemble des qualifications s’impose comme un sujet incroyablement important. On ne peut plus vivre dans ce monde dans lequel les connaissances accumulées doublent tous les 18 mois et prétendre dans le même souffle que les compétences acquises grâce à une formation de 5 à 25 ans peuvent durer 60 ans. Cela n’est plus imaginable. Nous sommes désormais dans un monde dans lequel il va falloir se former en permanence. Et intégrer cet impératif dans une entreprise comme la nôtre.

“On ne peut plus vivre dans ce monde dans lequel les connaissances accumulées doublent tous les 18 mois et prétendre dans le même souffle que les compétences acquises grâce à une formation de 5 à 25 ans peuvent durer 60 ans”

Alors, comment faire accepter aux structures existantes le fait que le digital soit une nécessité absolue et un accélérateur ? Pour avoir conscience de cette nécessité, il suffit de s’interroger sur le nombre d’entreprises ayant aux alentours d’un milliard de clients, voire davantage, moins de 10 ans d’existence et un peu plus de 100 milliards de capitalisation boursière, et dirigées par des jeunes de moins de 30 ans. Cette question aurait été stupide il y a 15 ans. Elle est devenue totalement pertinente aujourd’hui. Si des jeunes de moins de 30 ans sont capables de créer des boîtes dépassant un milliard de clients en moins de 10 ans, pourquoi un autre jeune de moins de 30 ans ne serait-il pas susceptible d’être écouté à l’intérieur d’organisation traditionnelle ayant 60 milliards de capitalisation boursière et 100 millions de clients ?

Il ne faut pas tomber dans le culte du jeunisme, mais dans nos grandes entreprises parfois trop hiérarchiques, il faut savoir faire la place à cette diversité de talents. Voilà pourquoi ce constat nous a conduit à mener des expériences extrêmement intéressante de “reverse mentoring” à l’intérieur du groupe, entre des salariés de moins de 27 ans recrutés depuis moins de 2 ans, et les membres du comité exécutif. Je souhaite que chacun des patrons d’entité mène le même type d’expérience pour montrer qu’il faut complètement transformer une structure traditionnelle, et que l’entreprise de demain ne pourra être organisée de la même manière qu’aujourd’hui.

Des questions morales

En réalité, ces transformations renvoient à des questions morales essentielles. Le monde actuel que l’on connaît est un monde très cartographié. On y évolue facilement et l’on rentre chez soi le soir quasiment les yeux fermés. Tout a été balisé, avec des process et des règles : on sait à quoi conduisent les expériences que l’on renouvelle, et on sait que ces mêmes expériences conduisent au même résultat. Donc on n’a pas de surprise.

C’est le monde d’hier. Dans le monde de demain, les questions morales vont s’imposer davantage, car il n’y a plus ni carte, ni balises. Il faut défricher une véritable terra incognita. Sur l’utilisation des données comme sur l’utilisation des technologies nouvelles, il va falloir que les entreprises redéfinissent les possibles, et à l’intérieur de ces possibles, où est le bien et où est le mal. Pour le fonctionnement de l’entreprise, cela va imposer des questions de discernement et de morale. Je trouve cela formidable. Car cela nous oblige, si l’on veut conserver nos valeurs, notre image, la crédibilité de nos marges, la relation de confiance avec nos clients, à trouver les bonnes réponses à ces questions.

“Dans le monde de demain, les questions morales vont s’imposer davantage, car il n’y a plus ni carte, ni balises”

Cette démarche peut sembler vraiment théorique, mais c’est pourtant une préoccupation fondamentale au quotidien. Nous ne pourrons nous développer dans ce monde où la transparence est de plus en plus importante que si nous sommes parfaitement capables de faire comprendre au client qu’il y a un véritable alignement d’intérêt.

Or, notamment dans les services financiers, le client a souvent un doute sur cet alignement. Ce monde nouveau nous force à clarifier bien davantage les composantes de nos prestations. En fait, si l’on s’y prend bien, nous n’avons jamais eu autant d’opportunités de nous réinventer et à prendre des parts de marché, car les besoins vont croître. Conséquence ? Je suis convaincu que nous allons entrer dans une phase de conquête qui ne prendra pas la forme des développements géographiques classiques, mais qui va dépendre de la capacité des acteurs à démontrer leur agilité pour s’approprier innovations et capacités nouvelles. C’est un message formidablement positif : le monde est à nous et il y a énormément de croissance à trouver.

Bio express
Christophe Colomb de l’assurance

Henri de La Croix de Castries, 61 ans, après HEC et l’ENA (promotion Voltaire) sera haut fonctionnaire dans l’administration pendant une dizaine d’années : inspecteur des finances, chargé de mission à la direction du Trésor (1984), puis secrétaire général adjoint du Ciri (1984-85), chef du bureau du marché des changes et balance des paiements à la direction du Trésor (1988-89). Il rejoint ensuite le privé comme directeur à la direction centrale des finances du groupe Axa (1989-90), puis comme secrétaire général, directeur général, président du directoire d'Axa, avant d’être nommé PDG d’Axa en 2010.

Le Nouvel Economiste

Publié le 22/07/2015

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